Préambule
Cette résolution a été rédigée par un groupe de personnes cis, blanches, d'origine européenne, issues de la classe moyenne et ayant reçu une formation universitaire. Nos privilèges constituent le point de départ de notre réflexion. Nous souhaitons les utiliser comme un levier de résistance et de subversion, dans une démarche de décolonisation des privilèges visant à renverser les structures de pouvoir en place.
En bref
Néocolonialisme: “L'essence du néocolonialisme c'est que l'état qui y est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan international. Mais, en réalité, son économie, et par conséquence sa politique sont manipulées de l'extérieur” (Kwame Nkrumah, “Neocolonialism, the last stage of imperialism”, 1965)
Le mot « colonialisme » désigne un processus historique d’expansion, de conquête de territoires et de mise sous tutelle d’un pays par un autre. En Occident, nous avons longtemps vécu dans l’illusion que le colonialisme avait pris fin lors de la période d’indépendance politique des années 60-70, marquant ainsi le début de la décolonisation. Or, cette décolonisation ne concerne que la formation des États-nations et ne touche ni les conditions matérielles de vie des populations, ni la déconstruction des hiérarchies sociales et des rapports de domination. Les structures politiques et économiques occidentales ont, au contraire, continué à entretenir et à renforcer les dynamiques de dépendance et de domination entre la majorité et la minorité globale.
Contexte historique du colonialisme
Contexte global
Le XIXe siècle est marqué par un accroissement des politiques impérialistes et une course à la colonisation entre la plupart des États européens. L’impérialisme du XIXe siècle est un phénomène complexe qui implique de nombreu·ses·x acteur·rice·x·s et qui va bien au-delà de la simple colonisation de territoire. En effet, ces politiques peuvent prendre plusieurs formes, mais avec une constance, un rapport de force en faveur des États européens qui persiste en de nombreux endroits encore aujourd’hui. Ces systèmes de domination n’ont pas disparu avec les processus dit de “décolonisation” après la seconde guerre globale mais se sont transformés en des rapports de force différents, plus discrets, et en réalité très similaires aux zones d’influence politico-commerciales des États européens déjà présentes au XIXe.
La Suisse dans tout cela - historiquement
Durant cette période, des négociant·e·x·s et des élu·e·x·s suisse·sse·x·s tout comme des institutions privées et publiques ont pris part activement et tiré profit de la colonisation et de l’esclavage. Toutefois le discours sur l’implication hélvétique reste encore aujourd’hui “[...] que la Suisse n'a jamais participé ni à ces histoires d'esclavage ni à la colonisation” comme a pu le déclarer en 2017 Doris Leuthard, conseillère fédérale à l’époque, lors d’une visite au Bénin. Aujourd’hui encore, la Suisse et ses institutions ignorent sciemment leur passé impérialiste. Toutes ces déclarations officielles ne font que prolonger la liste des banalisations honteuses de l’implication helvétique dans le colonialisme. Il faut regarder la réalité en face: la Suisse a participé à de multiples facettes des colonialismes.
Depuis 2003 et l’interpellation Friedl,plusieurs ouvrages sur la question de l'implication de la Suisse ont été publiés. Et fin 2024, une exposition au Musée national suisse à Zurich, retraçait l’histoire coloniale suisse. Aujourd’hui il est clair que la Suisse a participé de différentes manières au système colonialiste: à l’esclavage en fournissant des capitaux ou des denrées aux acteur·rice·x·s de la traite ou encore en produisant des biens servant de monnaie d’échange pour des personnes esclavisées sur les côtes Africaines (p.ex. La société Favre, Petitpierre & Cie qui produisait des indiennes); en menant des missions chrétiennes à travers le monde entier; en fondant, au travers des émigrant·e·x·s suisse·sse·x·s, plusieurs colonies de peuplement (telles que Nova Friburgo au Brésil); en menant des arbitrages consolidant les intérêts suisses dans des colonies; en encourageant des expéditions avec des buts commerciaux privés; en instaurant des traités inégaux grâce à des accords internationaux. Cette liste ne se veut pas exhaustive, toutefois elle donne à voir les nombreuses et complexes ramifications entre Suisse et colonialisme.
Le néocolonialisme
Contexte
Le développement de l'Occident repose sur des ressources naturelles et de la main-d'œuvre confisquée aux pays de la majorité globale. Ce modèle d'appropriation a été fondamental pour la croissance industrielle de la minorité globale et pour le financement de l'expansion et de l'industrialisation des colonies européennes. La croissance économique de la minorité globale repose donc sur une vaste appropriation des ressources et de la main-d'œuvre de la majorité globale. Cette extraction de ressources, de terres, d'énergie et d'heures de travail est un facteur important d'inégalité mondiale, de développement inégal entre la majorité et la minorité globale comme pour les conséquences de la crise climatique.
Aujourd’hui, de nombreuses associations et institutions militent pour que les pays de la minorité globale redistribuent une partie des gains accumulés au travers de cette exploitation. Ces demandes semblent à première vue porter leurs fruits car les flux d'aide en provenance des pays riches de la minorité globale donnent l'impression que des pays comme la Suisse donnent avec bienveillance ce qu'ils ont accumulé aux pays de la majorité globale, qui ont besoin d'aide pour surmonter leur état actuel de pauvreté. Toutefois, ce discours s'inscrit souvent dans le cadre du white saviour (de l’anglais, sauveur blanc), à savoir une personne blanche qui apporte son aide à des personnes non-blanches, généralement dans le contexte de l'aide humanitaire ou missionnaire et cela en niant l'action et le libre arbitre des populations touchées. Le discours “civilisationnel” utilisé dans le cadre du colonialisme n’a pas disparu mais s’est mué en des actes de bienveillance souvent totalement arbitraires et déconnectés des réalités.
Le discours capitaliste dominant affirme que les inégalités du développement international entre la majorité et la minorité globale sont dues aux faiblesses internes des pays de la majorité globale et que ces pays ont donc besoin d'aide. Combattre les effets délétères de l'extractivisme de la minorité globale serait plus juste et équitable, et bien plus efficace que la “charité” actuelle.
La Suisse dans tout cela - aujourd’hui
La Suisse et ses multinationales continuent à participer activement au pillage des ressources de la majorité globale. Ces pays se voient dépouillés de manière violente et destructrice des richesses de leur sous-sol. Un exemple très concret qui illustre ces propos est la multinationale Glencore.
Cette multinationale suisse basée à Zoug est la numéro 1 des matières premières. En plus de vendre des matières premières, elle possède des mines de cobalt, de cuivre et de charbon sur tout le globe et fait du commerce. Elle a été condamnée à plusieurs reprises pour corruption . Et il faut souligner que l’argent versé pour les amendes a été reversé à la Suisse et que cette dernière refuse de reverser l’argent à la RDC en avançant, par exemple, l’argument que les institutions congolaises ne sont pas en mesure de bien répartir cet argent, que la situation du pays est trop instable. Donc une fois de plus, les victimes directes du pillage de ressources et de la corruption ne reçoivent absolument rien.
Les mines de Glencore génèrent des milliards et pourtant, toute la plus-value des ressources s’envole et se retrouve bien souvent sur des comptes bancaires en Suisse. Et pendant ce temps, les populations autour des exploitations de Glencore continuent à vivre dans la misère et souffrent de l’impact environnemental désastreux de ces exploitations. S’ajoute à cela le non-respect des droits humains. La population locale est exploitée et ne profite en rien des richesses des sols sur lesquels elle vit.
Cet exemple concret résonne avec la définition du néocolonialisme de Nkrumah que nous avons cité ci-dessus.
Externalisation des conséquences, réflexes coloniaux
Le néocolonialisme est aujourd’hui ancré dans le système capitaliste. Ces deux concepts sont mêmes difficilement dissociables. La croissance économique dans les pays de la minorité mondiale est basée sur l'exploitation systématique des pays de la majorité mondiale, car cela permet d'étendre les marchés et de réduire les coûts de production. En asservissant économiquement et politiquement des peuples, pays et communautés, les pays occidentaux continuent de surconsommer.
La minorité globale externalise ainsi les conséquences de sa surconsommation. On peut citer par exemple la gestion des déchets (chimiques, plastiques, etc.), la délocalisation des industries polluantes, la déresponsabilisation face aux conditions de production à l’étranger (exploitation d’enfants, de minorités surexploitées, etc.) ou encore les conséquences du dépassement des limites planétaires. Le but est souvent le même : maintenir un profit élevé et croissant. Ces stratégies, qui font écho à l’époque coloniale, choquent lorsqu'elles sont évoquées sur les terres occidentales, mais sont normalisées voire encouragées ailleurs.
Les pays occidentaux ont donc mis fin au colonialisme direct sans en perdre l'intérêt économique. Ils laissent les pays de la majorité mondiale se développer juste assez pour subvenir aux besoins du système consumériste occidental, mais pas assez pour qu'ils ne dépendent plus de l'économie des régimes impérialistes. Une dépendance souvent vitale, conséquence directe d'un passé colonial et présent néocolonial destructeurs. La minorité globale doit cesser ces exploitations qui seraient impensables et illégales au sein de ses propres frontières.
Les leviers d’actions
La Suisse joue un rôle clé dans la persistance du néocolonialisme, la résignation n’est pas une option. Nous voulons rompre définitivement avec des siècles de domination et d'exploitation. Pour cela des moyens de changement radicaux sont nécessaires et possibles. Il doit être notre priorité, à nous, la Suisse et la communauté internationale, de démanteler activement les mécanismes et structures qui perpétuent l’asservissement de la majorité globale au profit d’une minorité.
Les Jeunes Vert-e·x·s demandent donc dans ce contexte :
- Réparations justes et intégrales : L'exigence de réparations historiques, financières, matérielles et symboliques pour les crimes et les pillages commis durant la période coloniale et leur continuation sous des formes néocoloniales.
- Annulation des dettes illégitimes : La suppression immédiate, totale et inconditionnelle des dettes illégitimes des pays de la majorité globale, dettes souvent contractée sous la contrainte ou pour servir les intérêts de l’Occident.
- Une étude sur le coût du néocolonialisme: Indépendante et exhaustive, mandatée par la Confédération afin de quantifier les coûts réels (économiques, sociaux, écologiques) du néocolonialisme, en particulier ceux imputables aux acteur·rice·x·s suisse·sse·x·s.
- Une commission d’enquête de la responsabilité suisse: Avec pour but de déterminer précisément le rôle historique de la suisse dans la colonialisme.
- Condamnation des entreprises suisses qui ne respectent pas le droit international à l'étranger : identifier et sanctionner les entreprises suisses qui violent le droit international à l'étranger, notamment les normes environnementales et les droits de l'homme selon la Charte des Nations unies.
- Solidarité internationale et souveraineté : L'engagement à fournir un soutien politique et matériel conséquent aux peuples et pays de la majorité globale luttant pour leur émancipation, fondé sur le respect absolu de leur souveraineté populaire.
Nous utilisons les termes 'minorité globale' et 'majorité globale' de préférence à d'autres désignations (telles que 'Nord/Sud global' ou 'pays développés/en développement') pour souligner explicitement les rapports de pouvoir et les héritages historiques ainsi que pour désoccidentaliser les perspectives. “Majorité globale” (souvent désignée par Sud global) est utilisé pour parler des parties du monde qui représente 85% de la population mondiale.